Premier témoignage : La prison de Sassandra (RCI) avant guerre

La Côte d’Ivoire vit une situation critique : en grand boom économique dans les années 70, la culture du café-cacao et l’industrie du bois tropical a attiré beaucoup d’immigrés, aujourd’hui, il n’y a plus de bois a couper, le prix du café et du cacao s’est effondré, la corruption s’est installée partout, aidée par le fait qu’une ethnie minoritaire a monopolisé le pouvoir pendant des décennies, le Sida décime la fonction publique, le F.M.I. et la  B.M. ont imposés des privatisations qui enlèvent à l’Etat tout moyen d’action.

 Instabilité politique, coups d’Etats successifs, racisme exacerbé. Ce pays est une cocotte minute qui chauffe chaque jour un peu plus. La guerre civile était proche. Depuis décembre 2001, retour de OUATTARA à Abidjan et les négociations en cours, la paix est à nouveau possible.

Mais l’argent manque, les fonctionnaires ont des retards de salaires de plusieurs mois et la corruption a atteint tous les niveaux d’une administration impotente. La Justice n’en est pas indemne, et il faut bien comprendre que si la corruption peut faire sortir de prison une personne, elle peut aussi en faire entrer une autre qui n’aurait pas les moyens de racheter sa liberté. De plus, le simple manque de moyens a des résultats catastrophiques sur le nombre d’erreurs judiciaires commises par manque de temps consacré au procès, mauvaise tenue des archives, absence systématique d’avocat, mauvais interprètes, enquêtes bâclées.

Je témoigne rapidement des conditions de détentions que j’ai pu constater.

La prison de Sassandra se trouve dans cette charmante petite bourgade de la côte, très touristique. Elle se trouve à plus de 60 kms de la ville de San-Pédro, (deuxième port du pays, plus grand ghetto de toute l’Afrique de l’Ouest) dont viennent quasiment tous les détenus (ce qui ne facilite pas les visites). Le bâtiment (un seul grand dortoir et une cour fermée accueillant entre 100 et 200 personnes) a été construit par les Français au temps de la colonie pour stocker des denrées. 2 WC sans chasse et un robinet hors du dortoir où sont enfermés quasiment tous les détenus entre 17h et 8h du matin ; pour tout dispositif sanitaire. Le robinet s’est vu asséché pendant  trois jours, seuls ceux qui ont acheté de l’eau ont bu. A l’intérieur : 2 demi-barriques servant de WC, l’urine étant très corrosive, elles fuient et la pisse se déverse à mesure dans l’allée centrale du dortoir où dorment ‘les moisis’ (c’est à dire ceux qui n’ont pu payer au chef des détenus le droit de dormir sur les côtés surélevés). D’ailleurs, ils n’ont pas le temps de dormir car il leur faut travailler pour gagner de quoi compléter leur alimentation : ventilation des riches avec un grand carton, cuisinier, conteur etc... Car l’alimentation est la suivante : une fois par jour, elle est faite par des détenus dits ‘corvéables’ arrivant à la fin de leur peine et ayant payé ce privilège aux matons. Le directeur leur fournit le ‘GBINZIN’ (balayures de maïs au bord des routes après séchage et vente du beau maïs, un tiers cailloux, deux tiers maïs, du maïs pour cochon). La plupart de ceux qui le mangent doivent d’abord le relaver et le refiltrer, ensuite ils en font une sorte de Tô. Il est servi accompagné d’une sauce  préparée par les mêmes corvéables, des fruits de leurs propres cultures à l’intérieur du camp : aubergines, piments, gombos…sauf l’huile, le sel. De toute façon, on ne donne aux prisonniers que ce qui ne peut rien rapporter à la vente au marché local. Inutile de dire que la sauce est bien claire. Très exceptionnellement, on y met un bout de viande porc ou de chien quant la police locale a abattu les animaux errants. Ces corvéables se feront un plaisir, moyennant finance d’aller vous acheter tout ce qu’il vous faudra au marché local !

Les matons ne rentrent quasiment jamais dans l’enceinte, ils nomment un gouvernement interne, et tout le système est fondé sur la corruption. Les visites gratuites sont une fois par semaine, mais il suffit de ‘parler bon français’ (en francs CFA), au gardien en poste, pour pouvoir communiquer relativement facilement avec un détenu n’importe quel jour.

Il n’y a jamais de visite médicale, l’infirmerie n’est qu’une cabane en bois d’isolement, le seul médicament à peu près disponible es la nivaquine (devenue complètement inefficace). Sinon, le gardien dit ‘infirmier’ ira volontiers vous acheter ce qu’il vous faut à la pharmacie si vous payez la note et sa bière. Il vous fera sérieusement les piqûres et accompagnera votre traitement. Il vous mènera à l’hôpital en convois, si vous payez au directeur le bakchich conséquent digne de son rang. Une femme belge a accouché dans ces conditions.

Aucun livre sinon la bible gentiment offerte par les protestants.

Il est certain qu’à tout moment votre peine est négociable avec les autorités. Il semble aussi qu’un sommeil bienveillant du gardien en poste puisse se monnayer. En 365 jours de détention, et sur l’effectif déjà cité, j’ai vu sortir une trentaine de cadavres, tous jeunes. On vérifie qu’ils sont morts. Les gars du service « hygiène » le lavent, le roulent dans sa natte, le ficellent, le chargent dans un cercueil sans fond à poignées, et les corvéables partent en ballade « nombreux candidats » jusqu’à la fosse commune.

On rase les nouveaux venus, s’ils n’ont pas d’argent (et même s’ils en avaient, les matons leur auront « mis en sécurité »), la même lame de rasoir servira pour tout le monde. = transmission du Sida et autres maladies contagieuses. Il y a aussi des femmes, souvent étrangères, peu nombreuses, parfois enceintes, qui ont une possibilité supplémentaire pour survivre : la prostitution. A ce propos, je n’ai pas eu a constater de viol dans les dortoirs.

Les détenus se regroupent entre eux souvent par origine ethnique, autour de caïds. A chaque arrivée de nouveaux, ils se répartissent les "Cacaos"= nouveaux venus (c'est l'idée qu'il faut d'abord planter et arroser avant de récolter). On lui offre gracieusement à manger, la sécurité, et une place ; en lui expliquant qu'il en sera redevable au groupe. Avant son procès, il reçoit des visites, de l'argent, de la nourriture, c'est là-dessus que le groupe se remboursera avec intérêt. Sinon, on le déshabillera et vendra tous ses effets au marché par l'intermédiaire des corvéables, qui, seuls habilités à sortir, raconteront ce qu'ils voudront sur les conditions du marché. Petit à petit, le cacao acquiert son indépendance, d'autant plus facilement qu'il est nu, jugé et condamné, et sa famille trop loin pour lui rendre visite.

J'ai assisté à une évasion collective, par le toit, le soir de Noël. Tous ont été repris dans les jours qui ont suivi, sauf un. Les évadés ont été enchaînés deux par deux par les pieds : après passage à tabac, pour ceux qui n'avaient pas été blessés par balles, l'un d'entre eux a été abattu. Celui qui avait été enchaîné seul est mort. Les autres les portaient encore à ma libération le 31/07/1997. Plaies purulentes, incapacité de dormir, obligés d'aller chier ensemble. C'est d'après moi un acte de torture caractérisé.

Ce n'est pas la prison qui a la pire réputation de Côte d'Ivoire, mais on parle de la MACA d'Abidjan comme un palace en comparaison. Il était en projet de construire une nouvelle prison à San Pédro même, ce qui était une avancée, mais je doute que les événements politiques survenus depuis n'aient pas contrarié ce projet.

Ludovic ROCHE

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