Merci au CIRC et au CAL 70 (comité pour l’abrogation des lois de
70 sur les drogues) pour leur action militante de longue haleine, et merci
de nous accueillir. Je me présente rapidement, je m’appelle Ludovic
Roche, je suis franco-burkinabè, président de l’ASPAO (Association
de Soutien aux Prisonniers d’Afrique de l’Ouest) . Je milite également
au sein de l’association SURVIE, dirigée par FX Verschave, qui lutte
pour l’indépendance réelle et non simplement formelle des anciennes
colonies françaises.
Voici pourquoi, au nom de l’ASPAO, je soutiens votre combat. Dans les années
60, tous ces pays prennent un semblant d’indépendance, dont ils ont
rapidement compris les limites dès lors qu’ils choisissaient comme
dirigeants des hommes indépendants d’esprit qui faisaient passer l’intérêt
de leur peuple avant celui de la France. Ces dirigeants légitimes
ont été éliminés, remplacés par des petits
soldats aux ordres de Paris qui entamaient là une très longue
carrière de dictateurs-petit chien à sa mémère
patrie néocolonialiste. Depuis ce temps, les institutions, les administrations,
les codes civiles et pénaux, sont copiés sur ceux de la France
d’avant 70. Ce qui a pour conséquence qu’aujourd’hui encore les consommateurs
de drogue (c’est le seul mot utilisé, pour le cannabis comme pour
le crack, la peine est la même) reconnus coupables purgent au moins
un an d’emprisonnement ferme, dans des prisons où il tient de l’exploit
de survivre un an sans aide extérieure. Si vous êtes reconnus
coupable de trafic (et trois pieds plantés chez soi suffisent à
l’être), vous purgerez 10 ans au minimum. La plupart des procès
pour cause de drogue sont en procédure de flagrant délit et
sont jugés en moins d’un mois, sans avocat. Les condamnations tombent
en chaîne.
Mais on ne peut pas parler de justice en Afrique sans parler de corruption,
les chefs d’Etat montrant l’exemple depuis des décennies (voir procès
ELF), cela a fait tâche d’huile et rares sont les fonctionnaires qui
n’en croquent pas. Personnellement je témoigne qu’on a fabriqué
des preuves contre moi, le chef de la PJ du coin (San Pedro, RDC) voulant
récupérer mon restaurant est simplement allé acheter
un kilo de gandja qu’il a présenté au juge comme le résultat
d’une deuxième perquisition, en mon absence celle-là, quand
la première n’avait récoltée que des graines. C’est
vraiment trop facile. On peut bien sûr, et nous le faisons, dénoncer
la corruption, réclamer plus de moyens pour la justice, mais à
l’heure ou l’argent devient la seule valeur universelle, ou la morale passe
pour être un idéal de naïf, mieux vaudrait commencer par
ôter des codes pénaux les outils les plus facilement utilisables
par ces nouveaux cannibales. Entre le quart et le tiers de la population
pénale d’Afrique sub-saharienne est emprisonné pour des problèmes
de stups. Les prisons sont surpeuplées . Nous voulons que soient
distingués les consommateurs de gandja des vrais gangsters « s’en
fout la mort » qui se chargent de crack avant de monter sur un
coup avec une arme à feu. Certes la gandja est consommée par
des militaires et des miliciens aux mains pleines de sang et l’âme
pleine de merde, mais c’est toujours en association avec d’autres produits,
comme l’alcool notamment. Le cannabis seul ne rend pas violent, il ne tue
pas, même à forte dose. Il ne se passe pas un mois sans qu’un
africain ne décède d’un verre d’alcool fort de fabrication
artisanale mal maîtrisée. Et combien de bagarres d’ivrognes ?
Nous réclamons la dépénalisation à l’échelle
mondiale du cannabis. Par ce qu’en fait, le seul tort de ce produit naturel
est de venir de l’étranger, et de nuire (croient-ils) à la
commercialisation du pinard français. J’aime à citer Peter
le bien nommé quand il revendique « equal rights and justice »,
nous sommes une génération de citoyens du monde, qui ne voient
les frontières que comme des balafres à cicatriser. Nous refusons
et refuserons toujours que l’on sacrifie des vies humaines à des intérêts
de marché. Aucun pétrole, aucun bois exotique, aucun pinard
ne vaut la vie d’un homme.
Le combat sera long, ici la démocratie recule chaque jour un peu
plus, grignotée qu’elle est par la démagogie médiatique
et le marketing politique, elle est monopolisée par une génération
de vieux baby-boomers qui ne se sont jamais questionnés sur le colonialisme
français et le racisme qui le sous-tendait, la jeunesse est faible,
démographiquement et surtout économiquement. Là-bas
la démocratie est à conquérir, la jeunesse, pourtant
majoritaire, ne pense qu’à la fuite. Le nord n’a aucune légitimité
à imposer des lois, des politiques au sud, plus peuplé que
lui ; nous étions au G8 pour le dire. Nous sommes des démocrates,
un homme = une voix, et à ce titre nous acceptons l’idée d’être
dirigés un jour, par moins blanc que nous. Parce que nous avons reconnu
le tort fait aux peuples colonisés, que nous sommes prêts à
parler de réparation, nous ne craignons pas la vengeance, et envisageons
l’avenir sereinement dans une seule et unique communauté terrienne.