Je suis arrivée en Côte d’Ivoire en décembre 2002. Mon
fiancé était incarcéré à la Maison d’Arrêt
et de Correction d’Abidjan depuis juin 2001. Incarcéré pour
5 ans, j’avais décidé de venir vivre en Côte d’Ivoire
pour tenter de le sortir de la prison, par un appel ou autre, (tout s’achète).
Les jours de communiqués ont lieu trois fois par semaine. Trois
fois par semaine ou il faut se rendre après le quartier de Yopougon,
vers la forêt du Banco pour rendre visite aux détenus ou prévenus
qui vivent entre les murs les plus sales de la capitale Ivoirienne. Les femmes
enceintes, les hommes, les enfants attendent des heures devant les grilles
vertes de la prison pour payer 300 francs CFA le « billet de communiqué
», il faut bien sûr laisser la carte d’identité, mais
les arrangements sont toujours possibles moyennant finances, dérisoires
ou non. Dans certain cas, un sachet de koutoukou ou un fanta peut faire l’affaire.
Une fois la grille passée, te voilà donc fouillé, là
encore si tu « fais un effort », si tu peux sortir un billet
de 500 tu peux passer sans être fouillé. Bon et voilà,
si le détenu visité est dans les parages tant mieux, comme
ça tu vas au parloir avec lui, sinon tu dois encore confier le billet
à un autre détenu qu’il faudra lui aussi « remercier
». Selon tes finances, tu peux aller dans plusieurs parloirs. Si tu
as l’argent tu peux aussi avoir un banc pour t’asseoir, payer des sachets
de bissap, de gnamakoudji à boire. Mélangé aux autres
détenus, tu essaies d’avoir une conversation normale, mais les chefs
de parloirs viennent sans arrêt te demander l’argent, l’argent, l’argent…
Au milieu de tout cela, des femmes et des hommes apportent toute sorte de
drogue. Dissimulée dans les plis des pagnes, parfois dans le vagin
des femmes, dans les sachets de riz ou de lait Nido, du pao, (de l’héroïne
à fumer), des cailloux, des rivotrils « neuroleptique »,
des comprimés appelés « bleus bleus » ou «
jaunes jaunes » destinés normalement aux animaux, tout. La
prison, plus qu’un lieu de détention, un lieu ou l’individu se rachète
vis à vis d’une société dont il n’a pas suivi les règles,
devient le carrefour du vice, l’endroit ou l’homme n’est plus un homme, ou
les mineurs « parrainés » par leurs « vieux pères
» de la MACA, se prostituent pour survivre, ou la prison fait du simple
voleur un monstre, ou la prison fait de la femme qui a volé la prostituée
des détenus hommes qui en l’échange de quelques francs CFA
et la complicité des gardiens devient la plus humiliée des
femmes. Des femmes qui accouchent en prison de pères de bâtiments
voisins. Des enfants récupérés par les anciens prisonniers
pour la préparation d’activités futures à la sortie
de taule. Des couples qui paient les gardiens pour aller « se retrouver
» dans les lits de l’infirmerie. Une infirmerie ou sont conçues
les enfants de ces prisonniers dont les femmes sont restées dehors.
Entassés jusqu’à parfois soixante dans des cellules
prévues pour une dizaine, a mangé du Tô, de la nourriture
destinée aux porcs, à vivre à même le sol, dans
les cellules infectes d’une prison abandonnée par les services publics,
ou les gardes, délaissés comme leurs détenus, font
de leur population carcérale un gagne pain.
Pour la plupart, ils n’ont pas de visites, la famille est loin, venir
coûte trop cher, surtout avec les « cadeaux » quasi obligatoires
qu’il faut faire à chaque intermédiaire de la prison, à
la queue, à la fouille, au parloir, etc….
De toutes façons, pour la plupart ces hommes, c’est un coup
d’Etat ou une grâce présidentielle qui mettra un terme à
leur souffrance, car les attentes de jugement peuvent durer des années,
chacun attend, et pourtant… Dans des cellules « pour ne pas dire chambres
», les plus riches, à mon époque, un français
et quelques libanais vivaient la prison comme une expérience pas trop
traumatisante, avec cuisinier personnel, « boys » à volonté,
splendides femmes pour chaque communiqué, excellents rapports avec
l’ensemble du personnel de la prison. Deux poids deux mesures.
N’ayant pas été incarcéré moi-même,
mais étant trois fois par semaine en « communiqués »,
je peux témoigner de la souffrance que m’ont montré les enfants,
les hommes, les femmes que j’ai pu rencontrer, de la souffrance non seulement
des détenus, mais des familles, des mères des pères
des enfants qui viennent visiter les leurs.
De ceux que j’ai pu croiser dans la rue lors de mes voyages derniers,
ils sont toujours là, dans la rue, en train de se « débrouiller
», avec des séjours de temps à autre en prison ou à
la PJ. Avant la prison, pour certains, c’était petits délits
et débrouillardise, mais la MACA a fait d’eux des braqueurs, des drogués,
de vrais « vagabonds » comme on dit là bas.